Voiture électrique : l’absence de marché, grande crainte des industriels
Publié le 11 septembre 2019 à 11h03 | Fabrice SPATH | 5 minutes
Soumis à des ambitieux objectifs de réduction des émissions de CO2, le secteur automobile est contraint d’électrifier une part grandissante de ses modèles
ANALYSE - Soumis à des contraintes environnementales et économiques de plus en plus fortes, les constructeurs européens sont pris en étau entre des réglementations qui leur imposent d’électrifier leurs modèles et un marché dont on ne connaît pas l’appétence pour la voiture électrique. Un difficile challenge que la plupart des industriels espèrent pouvoir relever dès 2020. Au risque d’entamer un peu plus leur rentabilité.
Au salon de Francfort qui a ouvert hier ses portes à la presse pour deux jours avant d’accueillir le grand public du 12 au 22 septembre, l’ambiance n’est pas à la fête. Et pas seulement en raison de l’absence de plusieurs acteurs majeurs de l’industrie - à l’image de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi ou de Volvo - qui boudent cet événement incontournable il y a quelques années encore au profit des salons de Paris ou de Genève.
Entre la guerre commerciale États-Unis - Chine, le risque de récession mondiale, la sortie chaotique du Royaume-Uni de l’Union, la perte de rentabilité et les menaces sur l’emploi liées aux objectifs de réduction des émissions de CO2 imposés par la Commission européenne, les discours des principaux dirigeants sont alarmistes. Après avoir parié que le politique pourrait assouplir cet objectif, les constructeurs sont aujourd’hui au pied du mur et sont contraints d’électrifier à tout-va leurs gammes.
Après le Dieselgate, un nouveau traumatisme
Il y a quatre ans, sur ce même événement, éclatait publiquement l’affaire du Dieselgate. Un scandale sans précédent dans l’histoire automobile portant sur une fraude aux émissions de dioxydes d’azote (NOx) qui, pour le seul groupe Volkswagen, a touché plus de 11 millions de véhicules diesel à travers le monde. Une affaire qui a durablement écorné l’image du secteur et qui a conduit nombre de métropoles du Vieux Continent à bannir les diesels les plus anciens de leurs centres-villes.
Un véritable traumatisme pour l’industrie qui est aujourd’hui renforcé par les objectifs de réduction des émissions de CO2 imposés par la Commission européenne. Dès l’an prochain, une gamme de véhicules d’un constructeur ne pourra en moyenne pas émettre plus de 95 grammes de CO2/km. Un chiffre qui ne concernera pas les 5 % des modèles les plus polluants et qui est corrigé du poids moyen des véhicules commercialisés par l’industriel. En 2021, l’ensemble de la production devra se conformer à cette nouvelle réglementation.
Émissions de CO2 : le choc électrique ou les sanctions financières
Électrification et rachat de crédits carbone
Pour échapper aux lourdes sanctions financières - 95 euros par gramme supplémentaire et par véhicule vendu - qu’écoperont ceux qui ne parviendront pas à respecter les objectifs de réduction, les plus en retard rachètent des crédits aux plus vertueux. À l’instar du groupe Fiat Chrysler Automobile (FCA) qui a fait l’acquisition auprès du californien Tesla de crédits carbone pour un montant de plusieurs centaines de millions d’euros. D’autres électrifient en urgence leurs gammes, tel Daimler (Mercedes-Benz) qui lancera pas moins de 20 nouveautés hybrides rechargeables d’ici la fin 2021.
Mild Hybrid (48 volts), hybride essence-électrique, hybride rechargeable, 100 % électrique ou encore hydrogène (pile à combustible) : toutes les solutions sont étudiées dans le cadre de la stratégie d’électrification du secteur. Longtemps opposé à l’hybride, Renault lancera l’an prochain les déclinaisons hybrides de ses Clio, Captur et Mégane. Chez Ford qui ne commercialise plus aucun modèle électrifié depuis le retrait de la très discrète Focus Electric, huit nouveautés à batteries sont attendues en Europe d’ici 2020.
Quel avenir après les primo-accédants ?
« Vous avez des voitures qui coûtent 10 000 euros de plus à construire, des objectifs d’émission de flotte exigeant un certain volume de ventes et des consommateurs qui peuvent ou non en vouloir », résume un responsable de PSA à l’agence de presse Reuters. « Tous les ingrédients sont là pour un puissant explosif. » Une déclaration qui rejoint celle faite par Carlos Tavares, le patron du groupe tricolore au quotidien Les Échos :
« Aujourd'hui la demande vient essentiellement des citoyens qui veulent faire étalage de leur choix de société. La question, c'est quand on aura épuisé cette catégorie de population, est-ce que les autres sont capables de prendre le relais ? », interroge M. Tavares qui, il y a deux ans, n’avait pas hésité à évoquer un second Dieselgate avec la production et le recyclage des batteries.
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Priorités : baisse des coûts et simplification des gammes
Et pourtant, malgré les incertitudes économiques, les menaces qui planent sur l’emploi et la concurrence croissante des acteurs asiatiques, les dirigeants interrogés se montrent confiants quant à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO2. Tout en pointant la nécessité de réduire leurs gammes et supprimer des options. Mais surtout de poursuivre leurs travaux sur l’amélioration des chaînes de traction, sur la baisse du coût du kWh de batterie ou encore le temps de charge.
Les constructeurs devront par ailleurs composer avec des règles dont un nouveau durcissement est programmé pour 2025 et qui ne pourront plus être assouplies. Une option auparavant envisageable mais qui, sous la pression de la société civile, est désormais devenue politiquement impensable. Reste que ceux qui ont déployé très tôt des technologies à basses émissions sont aujourd’hui en avance, à l’image du groupe Toyota, leader mondial de l’hybride essence-électrique qui s’apprête désormais à investir lourdement dans la voiture 100 % électrique.