Voiture électrique : quand l’Allemagne double la France

« La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées ». Ce slogan post premier choc pétrolier trouve une impulsion nouvelle au moment où l’Etat et les industriels de la filière automobile se mobilisent autour du véhicule électrique. En tête des pays leaders sur ce marché, la France et ses efforts financiers substantiels – aides à l’achat de véhicules et au déploiement d’une infrastructure de recharge – pourraient ne pas suffire pour maintenir sa position face à un écosystème allemand à la qualité et à la vitesse d’exécution supérieures. Une enquête exclusive menée par la rédaction de Breezcar et issue d'un road-trip allemand à bord d'une Opel Ampera …

 

Sommaire :

1. Objectif 2020 : 1 million de véhicules électriques
2. Des énergéticiens impliqués dans l’infrastructure de recharge
3. Les modèles électriques allemands en 2013-2014
4. Interopérabilité des bornes et type de prises : le modèle allemand

 

1. Objectif 2020 : 1 million de véhicules électriques

En 2009, la chancelière Angela Merkel avait formulé le vœu de voir circuler 1 million de voitures électriques sur les routes allemandes d’ici à 2020. Peu après la tenue d’un congrès rassemblant l’ensemble des parties prenantes de l’électromobilité à Berlin en mai dernier, cet ambitieux objectif reste toujours d’actualité. Martin Winterkorn, Président du Directoire du groupe Volkswagen, a appelé de ses vœux la densification du réseau de recharge fédéral et la création de voies de circulation dédiées aux véhicules électriques. Selon lui, l’objectif du million de véhicules sera tenu en incluant l’ensemble des automobiles à batteries (électriques, hybrides et hybrides rechargeables). Dieter Zetsche, PDG de Daimler (Mercedes et smart), a tenu un discours similaire à l'issue de la conférence berlinoise.


La chancelière Angela Merkel rechargeant une Volkswagen e-up! électrique sur une borne de recharge rapide ABB équipée du nouveau système de charge Combo dévéloppé par des industriels américains et allemands

Sur un marché qui a représenté en 2012 moins de 3 000 immatriculations (source : Kraftfahrt-Bundesamt KBA, l’agence fédérale de l’automobile), les constructeurs automobiles ne se sont guère empressés pour proposer des modèles électriques purs. L’absence d’aide à l’achat pour les particuliers n’a pas stimulé les ventes. Et, selon l’aveu même du Ministre des Transports Peter Ramsauer (CSU), ces aides n’ont « pas de sens et ne sont pas compatibles avec l’état des finances publiques » (interview donnée au Bild am Sonntag). Trois types d’aides à destination des industriels et des propriétaires de véhicules électriques sont actuellement en vigueur :

• une exonération de la vignette sur une durée de 10 ans
• une aide fédérale d’un montant d’1,5 milliard d’euros visant à financer les dépenses des industriels en matière de Recherche & Développement
• un crédit d’impôt réservé aux véhicules électriques et hybrides rechargeables intégrés aux flottes d’entreprises ; adoptée début juin par le législateur, cette loi est applicable rétroactivement au 1^er janvier 2013. Ce crédit d’impôt s’applique sur la base des capacités de la batterie : 500 euros sont ainsi alloués en crédit par tranche d’1 kWh, dans la limite de 10 000 euros (soit une batterie de 20 kWh).

 

2. Des énergéticiens impliqués dans l’infrastructure de recharge

Après deux années d’atermoiements, les collectivités multiplient les déploiements de bornes de recharge sur le territoire français (lire notre article Bornes de recharge et Collectivités : le déploiement s’intensifie). Sous les effets conjoints des actions de lobbying entreprises par la Mission Hirtzman et de l’enveloppe ADEME d’un montant de 50 millions d’euros destinés à cofinancer les projets, l’infrastructure de recharge publique se densifie.

Tandis qu’en France, les nombreuses expérimentations semblent se renouveler constamment depuis 2010 (projets SAVE dans les Yvelines, CROME à Strasbourg et région frontalière, …) et que les annonces constructeurs sont nombreuses en la matière, l’infrastructure de recharge dans l’espace public est déjà déployée en Allemagne sur de grands axes et dans de grandes métropoles. Sur un marché de l’électricité déréglementé depuis 1998 – au prix d’une inflation importante des tarifs de l’électricité –, les grands opérateurs ont financé dès 2011 l’installation et le roaming des bornes. Au total, plus de 3 500 bornes publiques sont actuellement en service à l’échelle fédérale, contre 5 550 en France – dont 4 000 sont concentrées sur Paris et sa petite couronne via le service d’autopartage Autolib’ …

 

ENBW EN BADE-WURTEMBERG

L’énergéticien Energie Baden-Württemberg A.G. opère une centaine de points de charge disposant chacun de 2 prises accessibles à l’ensemble des véhicules disponibles sur le marché (une prise de type 2 et une prise Schuko, l'équivalent allemand de notre type E/F domestique). Principaux axes et villes concernés : Fribourg-en-Brisgau, Baden-Baden, Karlsruhe et Stuttgart. Découvrez la carte des bornes de recharge sur le site d’EnBW …


Deux bornes de recharge EnBW installées dans un parking d'ouvrage à Fribourg-en-Brisgau. Accessibles gratuitement à tous les véhicules, elles peuvent recharger les batteries en moins de 3 heures.

 

E.ON : ET L'AUTOROUTE DEVIENT ELECTRIQUE

E.ON, l’un des plus grands énergéticiens mondiaux (132 milliards d’euros de C.A. et 72 000 salariés en 2012), va installer et opérer 8 stations de recharge rapide sur l’axe autoroutier A9 reliant Berlin à Munich (585 km). Anticipant l’arrivée de son modèle électrique i3 en novembre prochain, le munichois BMW a intégralement financé ce projet. Conçues par Siemens, les bornes d’une puissance de 50 kW pourront recharger les véhicules en moins de 20 minutes.

 

RWE : UNE PRESENCE EUROPEENNE

L’énergéticien RWE opère plus de 200 bornes de recharge essentiellement implantées dans la grande moitié ouest du pays et aux Pays-Bas, à Amsterdam. Parmi les principaux projets :

• un partenariat, dès l’automne 2011, avec l’opérateur de stations-service Tank & Rast, portant sur des points de charge rapide sur les autoroutes A1 et A2 traversant 11 Länder. 
• un partenariat avec le service d'autopartage électrique Citroën Multicity à Berlin portant sur l'installation de 200 bornes d'ici à 2014 alimentées exclusivement en énergie renouvelable et destinées à recharger les 350 Citroën C-Zero disponibles dans la capitale.

RWE possède également des bornes publiques au Danemark, en Pologne, en Croatie, en Hongrie, en Slovénie et en Autriche. Découvrez la carte des bornes de recharge sur le site de RWE …

 

VATTENFALL A BERLIN ET HAMBOURG

Le 4^e grand énergéticien allemand - d'origine suédoise - a déployé une centaine de bornes de recharge à Berlin (afficher la carte) et à Hambourg (afficher la carte). A Berlin, les points de charge servent depuis peu à recharger les modèles électriques BMW Active E mis à disposition par le service d’autopartage Drive Now (joint venture entre le loueur allemand Sixt et le constructeur BMW), véhicules disponibles jusqu’alors exclusivement au sein du service Drive Now de San Francisco (mais non commercialisés en grande série).

 

3. Les modèles électriques allemands en 2013-2014

Renault Zoé, fleuron électrique de l’industrie automobile française ? Pas tout à fait, puisque son moteur est produit par l’équipementier allemand Continental dans son usine de Nuremberg … Peu dynamiques à la fin des années 2000 sur la thématique des véhicules électriques, les constructeurs et équipementiers d’outre-rhin ont, sous la pression des engagements pris par la chancelière et des normes anti-pollution européennes, investis ce marché dont les premiers modèles seront commercialisés à l’automne 2013.

 

VOLKSWAGEN E-UP!

Citadine 100 % électrique du plus grand Konzern automobile, la e-up! sera disponible dans les concessions dès cet automne. Présentée dans sa version de série au prochain salon de Francfort, elle constitue la première voiture électrique de la gamme du constructeur. Découvrez l’intégralité des caractéristiques de la VW e-up! …

 

FORD FOCUS EV

Que l’on ne s’y trompe pas : la Ford Focus est bien un véhicule électrique conçu par un constructeur américain et disponible sur le continent nord-américain depuis l’été 2011. Disponible en Europe en septembre prochain, la Ford Focus électrique européanisée est produite depuis quelques semaines sur le site de l’industriel à Saarlouis (Land de la Sarre). L’adaptation de l’outil de production à ce véhicule aura nécessité un investissement de 16 millions d’euros. Découvrez l’intégralité des caractéristiques de la Ford Focus EV …

 

BMW i3

Premier véhicule de la gamme BMW i dédiée aux modèles électriques et hybrides rechargeables du constructeur munichois, la BMW i3 disposera en option d’un prolongateur d’autonomie, portant son autonomie totale de 160 km (en mode électrique) à 400 km (avec le « range extender »). La berline compacte sera produite dans une nouvelle usine située à Leipzig (Land de Saxe), un centre de production qui aura nécessité près de 400 millions d’euros d’investissements. Découvrez l’intégralité des caractéristique de la BMW i3 …


A la veille du lancement officiel de la BMW i3 électrique, le constructeur bavarois pourra compter sur une infrastruture de recharge publique déjà opérationnelle ...

 

VOLKSWAGEN E-GOLF

Commercialisée fin 2013 en Europe, la berline compacte star du constructeur de Wolfsburg disposera d’une motorisation électrique développant 115 ch et d’une autonomie de 175 km. Découvrez l’intégralité des caractéristiques de la VW Golf e-Golf …

 

FIAT 500e

Disponible exclusivement dans quelques Etats américains (dont la Californie), le pot de yaourt italien à la sauce électrique possède une chaîne de traction intégralement conçue et produite par l’équipementier allemand R. Bosch. Ce dernier intègre pour la première fois une solution complète sur un modèle de série (moteur, électronique de puissance et batterie).

En incluant également les hybrides plug-in, le nombre de véhicules rechargeables produits et disponibles en Allemagne sera dès cette année supérieur à l'offre des constructeurs français. L'arrivée de la Porsche Panamera S E-Hybrid, de l'Audi A3 e-tron, des Mercedes Classe B ED (Electric Drive) et Classe S Plug-in Hybrid renforcera la position des industriels allemands sur ce marché.
 

4. Interopérabilité des bornes et type de prises : le modèle allemand

Créé en 2012 à l’initiative de 6 industriels et énergéticiens allemands – BMW, R. Bosch, Daimler, EnBW, RWE et Siemens –, Hubject est une co-entreprise dont l’objectif est de promouvoir un protocole d’e-roaming permettant d’échanger des informations entre les véhicules électriques, les bornes de recharge et les opérateurs. Au pays des 1 000 fournisseurs d’électricité, Hubject doit permettre d’accéder à l’ensemble des points de charge du territoire et de recevoir une facture mensuelle unique.

Tandis que le projet Hubject s’internationalise – des opérateurs autrichiens, belges et finlandais ont adhéré au protocole –, les acteurs français se sont rassemblés au sein du GIREVE (Groupement pour l’Itinérance des Recharges Electriques des VEhicules). Signé en octobre 2012 par la Caisse des Dépôts, ERDF, PSA Peugeot Citroën et Renault, ce protocole d’accord vise prioritairement à recenser de façon exhaustive les bornes de recharge publiques en France et à créer des applications smartphones destinées à favoriser une interopérabilité entre les bornes. 9 mois après son lancement, aucun livrable tangible n’a été rendu public … Seule l’application Chargemap, initiative privée issue d’un appel à projet de la Région Alsace lancé en 2010, recense la majorité des points de charge présents dans l’espace public.


A l'occasion de notre road-trip allemand à bord d'une Opel Ampera, nous avons pu recharger notre véhicule sur toutes les bornes sur l'axe Fribourg - Cologne, en ville et sur autoroute

Il est un domaine dans lequel les batailles normatives semblent sans fin : celles concernant les prises électriques. La bataille des prises de recharge a été institutionnalisée par la création de l’EV Plug Alliance en mars 2010. Cette alliance, créée par les français Legrand, Schneider Electric et par l’italien Scame, visait à promouvoir la prise de type 3, une « prise haute sécurité ». Outre-Rhin, les industriels ont favorisé la prise de type 2 du constructeur allemand Mennekes, moins sécurisante selon les Français par l’absence d’obturateur mais intégrée sur 80 % des bornes de recharge installées en Europe (Londres, Amsterdam, Oslo, …).

Début 2013, la Commission Européenne a déposé une proposition de directive préconisant l’adoption du standard allemand sur toutes les bornes de recharge de l’Union. Isolée, la France a averti la Commission qu’elle demanderait des contreparties financières si la prise de type 2 devait être généralisée et nécessitait une mise à jour de l’ensemble des bornes déjà installées, dont les 4 000 points disponibles via le service d’autopartage électrique francilien Autolib’.

5. Synthèse 

Sceptiques à l’annonce des objectifs ambitieux énumérés en 2009 par la chancelière, les énergéticiens et les industriels allemands ont entrepris depuis 2011 la création d’un écosystème du véhicule électrique structuré et ouvert sur l’Europe. En 2014, les constructeurs automobiles allemands disposeront d’un nombre supérieur de modèles électriques et hybrides rechargeables dans leur gamme que leurs homologues français.

Moins médiatiques qu’en France, le déploiement de l’infrastructure de recharge et la mise sur le marché de nouveaux véhicules s’accompagnent pourtant d’un engouement que les sondages d'opinion ne semblent pas avoir perçu. En témoignent les réactions enthousiastes, voire émerveillées, des nombreux Allemands – petits et grands, propriétaires de 4x4 ou de berlines – que nous avons croisés à l’occasion du road-trip réalisé par Breezcar en Opel Ampera sur les routes du Bade-Wurtemberg. Révolution opérée en douceur, sans aides publiques massives, « das Elektroauto » dispose pourtant d’une faiblesse outre-rhin : le coûteux démantèlement des centrales nucléaires et la transition énergétique contraindront les propriétaires à recharger leurs véhicules avec une énergie produite majoritairement dans des centrales alimentées au charbon et en lignite …